Lucien Jacques et la guerre de 14-18
Bernard Baissat

L’Association des Amis de Lucien Jacques, artiste peintre pacifiste, vient de publier le numéro 10 de son bulletin d’octobre 2013, sous le titre : « La guerre de 14-18, vue par Lucien Jacques "

Jacky Michel, président de l’Association, qui a assuré les recherches et la belle mise en page de ce bulletin, présente ainsi l’ouvrage :

" Les documents inédits (lettres, croquis, aquarelles) présentés dans ce recueil, ont été retrouvés en décembre 2010 dans une ferme des Alpes de Haute Provence ayant appartenue à Jean Giono...
Comme son futur ami Jean Giono, Lucien Jacques sortira de la guerre 14-18 profondément choqué et marqué psychologiquement…
Déjà antimilitariste en 1912, il projette de partir à l’étranger pour se soustraire au Service armé (ce qu’il ne réussira pas à faire). Dès sa mobilisation, Lucien Jacques tient un carnet journalier écrit sur des cahiers d’écolier, souvent au crayon gris. Il les transmet, une fois pleins, à ses parents ou amis, ainsi que ses poèmes, dessins et aquarelles.

Il reprendra ses textes en 1931 pour proposer à un éditeur ses " Carnets de Moleskine ". Il les éditera finalement lui-même dans les célèbres " Cahiers du Contadour " en 1936.

En 1939, Gallimard réédite dans sa collection blanche " Carnets de Moleskine " avec une préface de seize pages de Jean Giono. Cette préface (dans laquelle Jean Giono écrit des pages très virulentes contre la guerre qui s’annonce) entraînera l’interdiction du livre qui va circuler " sous le manteau ".

Dans ce nouveau bulletin les lettres, les croquis, les dessins, les bois gravés, les aquarelles, les récits, les poèmes et même les chansons, admirablement mis en pages, constituent un ensemble indispensable pour mieux connaître cet artiste qui a défendu jusqu’à sa mort le pacifisme intégral.

Pour faire comprendre la sensibilité de Lucien Jacques, voici un poème écrit sur le front, à Troyon, le 28 octobre 1914.

Après avoir observé le cadavre " affreusement décomposé " d’un sergent allemand retiré de la Meuse, il fait un croquis puis écrit :

Le Noyé

À ceux de mon escouade

Le noyé qui gît là dans l’herbe de la berge,

n’ayant plus rien d’humain qu’une main non rongée

où luit un anneau d’or,

poussé du pied par vous avec haine et dégoût

ainsi que la charogne d’une bête mauvaise,

parce qu’il est vêtu d’un dolman ennemi

était pourtant un homme–un homme–un tout jeune homme

nourri d’air, de soleil, d’amour, tout comme vous.

Peut-être que chez lui vivait sa douce mère,

sûrement son épouse, peut-être des enfants !

Songez, quelle agonie angoissée loin des siens

il dut avoir, blessé, dans l’ombre de la nuit

et l’eau froide et profonde.

Qu’une pensée humaine au moins soit son linceul.

* * *

Ce poème sera publié dans La Pâque dans la grange, en 1924.
Ce dernier bulletin mérite une attention particulière des pacifistes mais tous les bulletins de l’Association sont passionnants pour mieux connaître un artiste qui a toujours voulu rester discret et modeste mais qui possède de grandes qualités artistiques, pas encore suffisamment reconnues.

Nous nous réjouissons donc d’apprendre que les éditions Gallimard ont décidé de rééditer " Les Carnets de Moleskine " et nous espérons de même qu’ils rééditeront aussi les " Écrits pacifistes " de Jean Giono.

Bernard Baissat

Toutes œuvres picturales et littéraires de Lucien Jacques se trouvent sur le site : L’association des amis de Lucien Jacques (http://amislucienjacques.wordpress.com/).


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