J’attendais Cabu

Qu’attendions-nous mercredi 7 janvier, à Lyon, placer des Terreaux ? Pourquoi n’arrivions-nous pas à quitter la place pour fendre le froid de la nuit, de la mort ? Pourquoi n’arrivions-nous pas à nous disperser pour rentrer chez nous, dans nos foyers ? C’est peut-être que notre foyer était ici, perdu parmi les autres, tous les autres, de ceux, celles venu(e)s silencieusement dire leur horreur, leur tristesse, suite à la tuerie de Charlie Hebdo.
C’est bien parce que notre foyer, ce soir-là, c’était la chaleur des humains, c’était d’êtres humains, d’affirmer notre appartenance à l’humanité, à une humanité qui ne peut supporter qu’on ôte froidement la vie pour « délit d’opinion ».
Qu’attendions-nous, serrés les uns contre les autres ? Peut-être bien que l’équipe de Charlie apparaisse en haut des marches de l’Hôtel de ville où brûlaient les bougies de la fête des Lumières, ressorties exceptionnellement pour l’occasion. Une équipe hilare et provocatrice, bien vivante, nous apprend qu’il s’agissait d’une sombre mascarade, une menace de plus.
Moi, j’attendais de voir Cabu fendre la foule, faite son petit trou parmi nous, dégager un coin d’asphalte et se mettre à dessiner comme je l’avais vu faire tant de fois et, d’un coup de craie, dire en un dessin mieux et plus qu’un long article.
J’attendais, je voulais, j’avais besoin de croire qu’il n’était rien arrivé et qu’il s’agissait d’un mauvais rêve. Un de ceux dont on se réveille. Mais Cabu ne venait pas. Alors, je me suis souvenu de lui, la dernière fois que je l’avais rencontré, par hasard, dans le XVIIe arr. de Paris. Assis sur un banc, près de la porte Maillot, il croquait, je ne sais pas quoi. Nous avions échangé quelques mots, parlé un peu. Je me sentais un peu gêné de déranger l’artiste. Il souriait, de son doux et tendre sourire d’éternel adolescent. J’ai mis longtemps à accepter l’idée qu’il soit assez âgé pour avoir subi la guerre d’Algérie, source de son antimilitarisme viscéral, de son pacifisme sans faille. De ces années perdues au service de la patrie, il aurait pu revenir aigri, désabusé. Blessé, oui il l’était, bien sûr, mais c’est la joie, le rire, l’engagement qu’il nous a offerts.
Depuis mercredi midi, quand ma femme m’a téléphoné pour me dire, en larmes, « ils ont retiré sur Charlie. Il y a une dizaine de morts », j’ai le visage de Cabu en tête. Il ne me quitte plus. J’ai sa bonne bouille souriante dans la tête, l’œil brillant. Cabu aura toujours, pour moi, l’âge du grand Duduche ? Un grand Duduche aperçu pas loin, place des Terreaux, ce mercredi 7 janvier, tenant la fille d’un proviseur en pleurs bien serrée dans ses bras.
« Papa n’est pas mort. Ce qu’on aime ne nous quitte jamais. Ils nous accompagnent toujours. Éternel ! »

Pascal Dereudre


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