Du Berry à l’Île-de-France

LES RANDONNÉES sont à la mode, alors profitons-en ! L’histoire est à la mode, alors profitons-en également ! Et vive les bonnes vieilles randonnées militaires, avec des stations et des totems explicatifs aux meilleurs endroits !

Je vous propose de partir de Châteauroux, avec la bénédiction du général Bertrand, un inconditionnel de Napoléon. Vous aurez d’abord une simple pensée pour les bombardements (39-45) du chef-lieu de l’Indre, qui furent moins spectaculaires que bien d’autres.

La petite ville de Vatan pourrait constituer votre première étape. Il vous faudra remonter un peu loin dans l’histoire, mais vous ne le regretterez pas. Ici, au début du XVIIe siècle, le seigneur de la région estima qu’il était en droit de disposer d’une armée et de demeurer complètement indépendant. Noble aspiration à la liberté, certes, mais stratégiquement, l’idée n’était pas bonne. Son armée ne comportait en effet que cent vingt héros, et elle ne résista que peu de jours au vrai chef militaire officiel : le roi de France, ou plutôt Marie de Médicis, la Régente, et, en 1611, elle fit écraser proprement cet hurluberlu. Pour bien montrer qu’elle savait vivre, le seigneur en question fut décapité et sa tête fut exposée, sur un pieu, à la sortie du bourg. (On ne visite plus ! Ne serait-ce pas une manifestation de civisme que de placer une vraie tête sur un pieu, à la sortie de Vatan, pour entretenir la mémoire ?)

Ensuite, nous progresserons vers le nord et, dès Vierzon, nous aurons une pensée émue pour la ligne de démarcation, où quelques audacieux échangèrent de glorieux coups de fusil avec le Boche. Mais il nous faut aller jusqu’en Sologne pour voir des traces tangibles de l’honneur militaire. À La Ferté Saint-Aubin, exactement, un cimetière rappelle qu’ici furent exécutés une centaine de jeunes français, le 10 juin 1940. La date était judicieuse. En effet, le même jour, deux cent cinquante kilomètres plus au sud, à Oradour-sur-Glane, la division Das Reich, composée d’ailleurs en partie d’Alsaciens, se livrait aux exploits que l’on sait.

Et puis voilà, nous sommes au bord du fleuve mythique, qui permit des affrontements intéressants depuis la nuit des temps. On se contentera d’évoquer les « armées de la Loire » (1871) avec la belle victoire de Coulmiers, suivie de la défaite de Loigny-la-bataille, qui permit d’abreuver les sillons beaucerons, grâce à la bonne volonté de neuf mille combattants, qui s’étripèrent en une seule nuit, celle du 2 au 3 décembre 1870. Il n’en reste malheureusement aucune trace, le travail ayant été exécuté trop vite. On « ramassa les morts », selon une méthode évoquée par un poème célèbre de Gaston Couté. Ils font donc désormais partie intégrante du sol de la patrie, qui en est ainsi amendé, engraissé.

À Coulmiers, nous avions gagné, et, de ce fait, un monument assez conséquent rappelle ce haut fait. À Loigny, nous avions perdu (on ne peut pas toujours gagner...) et le monument est souterrain, c’est logique. Il est exactement dans la crypte de l’église. En 1970, le 2 décembre, afin de fêter le centenaire, on rapatria des ossements allemands que l’on disposa à côté des ossements français. C’était la « réconciliation » et l’on peut penser qu’elle aurait pu venir avant, ce qui eut évité tous ces coûteux aménagements, pour une si petite église. En tout cas, la bataille de Loigny n’est pas suffisamment signalée. On devrait indiquer par un panneau, tous les lieux beaucerons où, au cours des siècles, des combats se sont déroulés. On n’oublierait pas la fameuse victoire de Patay, que Jeanne d’Arc remporta sur les Anglais en 1429 ! Si l’on veut bien se donner la peine de répertorier tous les affrontements qui eurent pour cadre le « grenier de la France », ce lieu de mémoire risque d’être véritablement encombré. Peut-être même l’agriculture y deviendra-t-elle impossible, tellement la terre a été ici abreuvée par le fameux sang impur, qui fertilise encore les récoltes en ce début de troisième millénaire !

La solution la plus simple, selon moi, consisterait à rappeler sur le bord de l’autoroute A10 et de la Nationale 20, par des panneaux indicateurs disposés tous les kilomètres, entre Orléans et Étampes, que la Beauce est avant tout un champ de bataille, utilisé comme champ de blé et de betteraves durant les périodes creuses.

On oublie trop souvent, en se promenant au milieu de cette plaine de légende, qu’on a la chance de marcher directement sur des cadavres de héros, héros qui constituent la substance même de la terre.

Après Étrechy, on aborde l’Île-de-France, et là, les hauts lieux se succèdent, se pressent, se conglomèrent un peu partout. A-t-on déjà pensé au nombre ahurissant de batailles diverses qui ont ennobli le paysage dans un rayon de quarante kilomètres autour de Paris et, bien entendu, dans Paris intra-muros ? Je suis désolé d’avoir à le redire, mais l’Île-de-France n’est qu’un immense pâté de viande humaine, si je puis me permettre cette comparaison culinaire.

C’est pourtant la ville de Montlhéry qui me paraît mériter le plus grand respect. Les historiens assurent que la tour de ce très vieux bourg fut l’objet de continuelles attaques et que la production de cadavres y est remarquable en quantité. La bataille de 1465, quand Louis XI se chamaillait avec Charles le Téméraire, est demeurée célèbre à juste titre. Elle fut « sanglante » assurent les spécialistes, et il ne manquerait plus que ça, que les batailles ne fussent pas sanglantes ! « Louis XI (un Armagnac) enfonce les troupes sur son aile droite » et les Bourguignons (c’est une bataille très vinicole) « culbutent (sic) son aile gauche ». Chacun des deux belligérants revendique la victoire, tellement cette guerre fut bien réussie ! Seul, l’historien Commines n’est pas d’accord : « Jamais plus grande fuite ne fut vue des deux parts », assure-t-il. Défaitiste, ce faux témoin !

Plus au nord, à Villeroy, (quarante et un kilomètres de Paris) une belle empoignade porte le nom de « bataille de l’Ourcq ». Ce sera notre dernière étape. C’est ici que fut proprement couché Charles Péguy, qui n’a donc participé qu’à trente-trois jours de guerre, alors qu’il avait la possibilité d’y passer la totalité de la période entre le 2 août 1914 et le 11 novembre 1918 ! Ce n’est pas bien brillant pour un poète guerrier qui avait écrit :

« Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre,

Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés. »

Je trouve qu’il n’était pas suffisamment mûr quand on l’a moissonné, ce Charles là !

Rolland Hénault