Vers l’interdiction des armes nucléaires : un grand pas en avant

À l’insu de la majorité des opinions européennes — en raison du boycott par leurs médias officiels — un grand pas vers la paix et la survie de la planète a été accompli le 7 juillet 2017 à New York. Ce jour-là, au Palais des Nations-Unies, les délégations de 122 pays (sur 123 présentes et sur 193 pays-membres) se sont mises d’accord, dans une ambiance de liesse extraordinaire, sur un texte où, se disant "profondément préoccupés par les conséquences catastrophiques qu’aurait tout recours aux armes nucléaires", ils visent carrément l’élimination complète de ce type d’armes. Un peu à la manière des traités précédents d’interdiction des armes chimiques et biologiques.

Ce texte - dont chaque mot, chaque virgule ont été âprement discutés au cours de longues séances quotidiennes ayant commencé, à New York, dès le 27 mars, sera soumis pour signature aux pays membres des Nations-Unies le 19 septembre prochain. Par la suite, il faudra atteindre au moins cinquante ratifications pour qu’il puisse entrer en vigueur 90 jours plus tard.
Le traité n’est pas tombé du ciel. Il est le fruit de longues réunions et conférences, dans plusieurs capitales du monde sur les "conséquences humanitaires" et sur le climat qu’aurait le lancement de ne serait-ce qu’une première bombe, puisque presque toutes les bombes d’aujourd’hui sont infiniment plus puissantes que celles qui ont ravagé Hiroshima et Nagasaki. Par exemple : la France possède, à bord du sous-marin "Le Terrible" 96 bombes correspondant à une puissance totale de mille fois Hiroshima. En 2016, au Palais des Nations de Genève, trois réunions de "groupes de travail à entrée libre" avaient permis de préparer le terrain pour les travaux de New York. Elles réunissaient les délégations de pratiquement tous les pays du monde (à l’exception des neuf pays possédant des armes nucléaires), plus des représentants des organisations non-gouvernementales.
Ce qui est remarquable – et ce que la plupart des diplomates et autres hommes politiques préfèrent ignorer – est que la naissance de ce texte est surtout le fruit d’une collaboration, inédite dans son intensité, entre les délégations officielles des pays non-dotés d’armes nucléaires (en gros ceux du "tiers-monde") d’une part, et les représentant/e/s d’organisations non-gouvernementales d’autre part (comme l’auteure de ces lignes, déléguée d’Abolition des armes nucléaires-Maison de Vigilance). Ainsi on a vu d’une part, parmi les délégations les plus combatives, des pays comme l’Afrique du Sud (qui a renoncé à l’arme nucléaire), le Mexique, la Jamaïque, la Palestine. D’autre part donc les ONG qui, aussi bien à Genève qu’à New York ont pu prendre la parole à de très nombreuses occasions, pilotées la plupart du temps par les bons soins d’ICAN, la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires.
Une chose qui pourrait et devrait éclairer nos hommes politiques c’est que plusieurs de ces ONG représentaient ou étaient proches de parlementaires de pays dont les gouvernements avaient refusé de participer aux travaux de l’ONU. Soit dès les réunions de Genève, c’est-à-dire les neuf pays "dotés" : les cinq "officiels", membres du Conseil de Sécurité (dont la France) plus l’Inde, le Pakistan, la Corée du nord et Israël. Soit à celles de New York, c’est-à-dire les pays dits "alliés" qui accueillent sur leur territoire des bases nucléaires des États-Unis : l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et la Turquie. Dans plusieurs de ces pays, membres de l’Otan, les parlements se sont prononcés en faveur d’un départ de ces bases. Parmi eux, seuls les Pays-Bas avaient envoyé une délégation à New York qui a d’ailleurs porté la seule voix d’opposition lors du vote final le 7 juillet.
Quant aux pays officiellement dotés, ils n’ont pas caché leur mépris et leur colère face à ces pourparlers tout au long des travaux. Au début à New York, par une contre-manifestation devant le bâtiment de l’ONU animée par l’ambassadrice des États-Unis auprès de cet organisme. Et dès la publication du texte du traité le 7 juillet, par un communiqué des États-Unis, du Royaume Uni et de la France arguant que « ce traité n’a aucun effet juridique » et qu’il « méprise clairement les réalités de l’environnement sécuritaire international. »
Plusieurs militants antinucléaires, même parmi les participants aux négociations, l’ont souligné : le texte finalement approuvé est loin d’être parfait. Il y reste certaines concessions aux arguments de ceux qui hésitaient à trop contrarier les signataires du Traité de non-prolifération. Notamment en prévoyant dans un de ses articles, la possibilité pour un pays-partie de sortir du traité « si des événements extraordinaires ont compromis les intérêts suprêmes de son pays ». Ou encore, la mention de la possibilité d’avoir recours à l’énergie nucléaire, alors que ce point pourrait être considéré hors sujet par rapport à l’interdiction des armes et ne pas être mentionné. Il s’agirait là d’une concession aux pays qui souhaitaient un texte en lien étroit avec le Traité de non-prolifération... qui insiste sur ce point.
N’empêche : une dynamique s’est mise en marche. Partout dans le monde la conscience du danger effroyable auquel nous exposent les puissants de cette terre grandit. Après le vote final le 7 juillet la présidente costaricaine a donné la parole à Setsuko Thurlow, une "hibakushi" survivante du crime d’Hiroshima. Devant l’assemblée émue, elle s’est adressée au monde entier : "Merci, merci ! Cela fait soixante-douze ans que j’attends ce moment ! Je vous en prie : si vous aimez notre planète, vous signerez ce traité."
Et, si pour une fois, LA morale prenait le pas sur LE politique ? À nous de jouer...

Marlène Tuininga