Il est possible, pouvons-nous l’espérer, que les générations futures, lors de fouilles archéologiques, ou par hasard au cours de banales balades, ou qui sait, lors de jeux d’enfants, à moins que ce ne soit un chien fouineur qui découvre ce trophée, il est possible dis-je, et la famille concernée, ce qu’il en restera, le souhaite, que l’on découvre le membre manquant. Ou vous même, habitant des régions touchées, impactées pour utiliser un terme d’aujourd’hui, en faisant simplement, sainement, votre jardin, en fidèle voltairien que vous êtes. Imaginez que vous tombiez là-dessus ! Imaginez que votre fils, votre chien, votre jardinier, vous apporte un matin ce précieux résidu de l’histoire, de l’Histoire, cette relique de la guerre, cette preuve de l’existence d’odieux. Car, enfin, j’y viens, le général Puzzle a été retrouvé. Du moins en partie. Le général Puzzle est un pseudonyme que je lui ai trouvé – tu vois moi aussi j’ai découvert quelque chose de lui – pour ne pas employer son vrai nom, stratagème qui m’évite le risque d’avoir des ennuis avec les descendants du descendu qui, peinés de mon peu de considération pour ce personnage pernicieux, ce grognard qui marchait crotté fourbu, malade, seraient tentés de porter plainte, comme un mur de séparation, lequel, plus savant, porte plinthe. À part le mur de Berlin, qui, lui, est tombé, pensant les hommes de part et d’autre, homonymement mûrs pour vivre en bonne entente.
Donc, le général en question, ou plutôt en morceaux, aurait été identifié, du moins son corps, du moins une partie d’icelui, en Russie, là où il serait mort, où il aurait été tué – n’est-ce pas le devoir d’un général que d’être tué, qui plus est sur un champ de bataille ? Ce général, dit de division de l’Empire, non pas parce qu’il découpait des vers luisants(1) en petits morceaux, anticipant ainsi la forme dans laquelle il serait lui-même découvert plus tard – plus tard que son époque napoléonienne, égale aujourd’hui de notre époque post-guerrière – mais parce qu’il divisait les Humains, ceux qui lui étaient confiés tout d’abord, et qu’il était chargé – comme son fusil ? – de disséminer, de miner, de laminer, de dresser les uns contre les autres, de coucher les uns sur les autres, en sang, en mille, en mille morceaux, de faire ramper, trempés, trompés, pompés, sapés, capédépée ; mais aussi le genre humain dans son ensemble, en général si je puis dire, quoique la plupart malheureusement est en civil, les divisant en bons, ceux qui sont de son côté, du côté de l’empereur, de l’ampleur, de la torpeur, des trappeurs, et les mauvais, les ennemis, ceux qu’il faut vaincre, écraser, égorger, ceux qui ont le sang anachroniquement impur.
Bref, le général retrouvé n’est pas entier. Un de ses membres est lacunaire : une jambe. Et c’est précisément celle-là qu’il va vous falloir rechercher pour vous faire bien voir par la famille dudit général, qui dormira désormais aux Invalides. Mais attention : des jambes, il s’en est perdu tant et tant, certaines ne sont que des jambes de simples soldats, des petits, des obscurs, des sans-grade, pour continuer d’emprunter à Rostand, et ces dernières, si nombreuses soient-elles, ne nous conviennent pas, ne satisferont pas les héritiers du héros napoléonien, lesquels ne s’y tromperont pas. Si vous ne savez pas reconnaître une jambe de général, il vous faut retourner à l’école du crime.
En effet, il faut être au moins sorti de Saint Cyr, sincèrement, pour apprendre à reconstruire les puzzles découpés par la guerre.
Quand j’ai eu écho de cette information, de première importance, à la veille de la date symbolique du 2 décembre, j’ai d’abord pensé à Francis Blanche, dont on connaît la chanson (je vous la ferai à l’occasion). Mais le sien était à vendre ; celui-là, semble-t-il, à rendre : à sa famille, à sa mémoire, à ses armories. Sauf qu’il lui manque une jambe. Les retrouvailles ne seront validées, aux Invalides, que si le pantin est entier. Donc, au boulot. Et vu que nous arrivons en période de Noël, « Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! Morne plaine. Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine », il est possible que l’on croise, dans ces régions là-bas, fréquentées par l’Empereur, qui n’était pas un pingouin, quelques bonshommes de neige montés sur la jambe du général amputé. Soyons vigilants. Mais il en est tombé, des jambes, ensevelies sous les neiges, il s’en est perdu, des membres, qui n’appartiennent pas tous à des généraux. Si vous êtes collectionneur, ou si vous êtes père Noël, rassemblez donc toutes ces panoplies pour en remplir vos hottes, ou vos bottes, et leur apprendre, à tous ces restes de soldats, à marcher au pas, je veux dire à ne pas marcher, à ne plus marcher, ou alors....pour déserter. Allez ! Rompons !
« Les estropiés d’chez nous, ce qui les rend patraques/ C’est pas d’être hors d’état d’courir la gueus’ crénom de non/ mais de ne plus pouvoir participer à une attaque/ On rêv’de Rosalie, d’ la baïonnette, pas de Ninon. » Pour conclure avec Brassens qui, sachant que les grognards de Bonaparte/ Jetaient pas leur poudre aux oiseaux, s’obstinait à préférer la guerre de quatorze dix-huit. »
Yves Le Car provisoire
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(1) Note pour ceux qui n’auraient pas compris le jeu de mots : le ver luisant est appelé Lampyre.