Gisèle Halimi : « Faire la révolution »

Après Avocate irrespectueuse, un livre essentiel de Gisèle Halimi publié en 2002, il fait du bien de lire Une farouche liberté, publié en 2020, peu de temps après le décès (28 juillet 2020) de cette femme exceptionnelle.
L’introduction de sa no­tice biographique dans le Mai­tron, dictionnaire du Mouvement ouvrier, résume sa vie militante : « HALIMI Gisèle (née ZEIZA Gisèle, Élise, Taïeb), née le 27 juillet 1927 à La Goulette (Tunisie), avocate engagée dans la défense des militants des mouvements de libération nationale en Tunisie et en Algérie, fondatrice du comité « Pour Djamila Boupacha », fondatrice de l’association Choisir, avocate de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beau­voir, signataire du manifeste des 121 et du manifeste des 343, avocate de Marie-Claire au procès de Bobigny, membre du MLF ; députée de l’Isère (1981-1984) apparentée PS, conseillère régionale Rhône-Alpes (1981-1984) ; am­bassa­drice déléguée permanente de la France auprès de l’Unesco (1985-1986), présiden­te du comité des conventions et des recommandations de l’Unesco (1985-1987), membre et présidente de la commission politique de l’Observa­toire pour la parité entre les hommes et les femmes. »
Dans son livre d’entretien avec la célèbre journaliste An­nick Cojean, Gisèle Halimi livre ses pensées les plus intimes. Elle dit au sujet de sa jeunesse en Tunisie, alors protectorat français : « Nous étions dans un monde coupé en deux, cela m’apparaissait clairement. D’un côté, ceux qui op­primaient et en tiraient profit, et de l’autre, les humiliés, les offensés, bref, les victimes. J’ai très tôt choisi mon camp : celui des victimes. Mais attention ! Des victimes qui relèvent la tête, s’opposent, combattent. »
Échappant au poids de la religion, des traditions familia­les et du mariage arrangé, elle réussit à partir, bac en poche, faire des études de philosophie et de droit à Paris. Quand les peuples colonisés commencent à réclamer leur indé­pendance, elle comprend tout de suite qu’ils défendent leur droit : « Je sentais en moi l’exigence du témoin engagé, de la militante des droits et des libertés. Les luttes d’indé­pen­dance m’ont cueillie de plein fouet et je m’y suis enga­gée ardemment. D’abord celle de mon pays d’origine, la Tuni­sie, que j’ai soutenue spon­tanément. »
Et elle ajoute : « Ce qui se passait pendant la guerre d’Algérie était fou… J’ai décou­vert, abasourdie, l’étendue des exactions commises par l’armée française, la torture éri­gée en système, les viols des militantes arrêtées, les condamnations sur aveux extor­qués, sans compter les disparitions et exécutions sommaires… J’étais l’une des rares femmes avocates à défendre les fellaghas et, donc, considé­rée comme une “traîtresse à la France” par les militaires et tenants de l’Algérie française. »
Pour obtenir la grâce de condamnés à mort, Gisèle Halimi n’hésite pas à forcer la porte des présidents de la Ré­publique : René Coty d’abord, Charles de Gaulle ensuite. Elle ne se laisse pas intimider par le général qui la reçoit avec condescendance : « Bonjour Madame ». Il a marqué un temps. « Madame ou Mademoi­selle ? » Je n’ai pas aimé. Mais alors, pas du tout. Ma vie personnelle ne le regardait pas. J’ai répondu en le regardant bien droit : « Appelez-moi Maître, Monsieur le Président ! »

En 1961, elle reçoit un pa­pier à en-tête de l’OAS (Orga­nisation de l’armée secrète pour le maintien de la France en Algérie) qui annonce sa condamnation à mort « en donnant ordre à chaque militant de m’abattre “immédia­tement” et “en tout lieu”. Mais je n’ai jamais eu peur. Mes convictions me portaient et j’ai toujours cru en ma baraka. »
Dans ses combats contre l’armée autant que dans ceux contre le patriarcat, elle a tou­jours fait preuve d’un coura­ge exceptionnel, n’hésitant pas à transgresser la loi quand c’était nécessaire pour ob­tenir justice. Elle a su utiliser la pression intellectuelle, sociale et médiatique pour gagner dans des procès qui condamnaient des femmes. Pour découvrir toutes les luttes que l’avocate a menées, on peut se plonger dans la vingtaine d’ouvrages qu’elle a écrits. Elle a su aussi se servir du livre pour expliquer ses prises de position et encourager les femmes à se défendre. Elle a toujours fait confiance aux femmes pour faire bouger la société.
À la question d’Annick Cojean : « Qu’attendez-vous des femmes ? » Elle répond : « J’attends qu’elles fassent la révolution. Je n’arrive pas à comprendre, en fait, qu’elle n’ait pas déjà eu lieu. »

Bernard Baissat