La guerre engagée le 24 février 2022 contre l’Ukraine par la Russie, quelle qu’en soit l’issue, est venue raviver les peurs d’un conflit généralisé en Europe et devrait renforcer la volonté des gouvernements d’augmenter les dépenses militaires. Cette tendance n’est pas nouvelle et les nombreux conflits actuels (Syrie, Mali, Yémen…) justifient, pour les États, une militarisation accrue et une course aux armements toujours plus importante. En 2020, les dépenses militaires explosent : 1 981 milliards de dollars, dont 531 à l’exportation, selon le rapport du Sipri1. Le budget des armées françaises est passé de 1,77 % du PIB, en 2017, à 2,1 %, en 2022, soit 46 milliards d’euros, et passera à 3 % d’ici à cinq ans, soit environ 66 milliards d’euros2. Malgré le TCA (Traité sur le commerce des armes), signé par la France, qui interdit d’exporter des armes « vers des pays ou des zones de conflits où les droits humains sont bafoués », et malgré l’embargo sur les ventes d’armes suite à l’annexion de la Crimée en 2014, plusieurs entreprises (Safran, Thalès et Sofradir, une PME grenobloise) ont continué – entre 2015 et 2020 – à fournir pour 152 milliards d’euros de matériels qui sont utilisés, dorénavant, par la Russie en Ukraine. Il faut souligner, cependant, que 44 % des ventes françaises vont vers les États du Moyen-Orient, pour certains en guerre et dont la plupart répriment leur société civile. Ne pas oublier non plus que la France arme simultanément deux États en conflit permanent : l’Inde et le Pakistan.
La région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) accueille sur son territoire quelques-unes de ces industries d’armements. L’Observatoire des armements vient de publier un dossier intitulé : « La guerre se fabrique près de chez vous ». Cette étude a pour objectif d’interroger le rôle des entreprises d’armements et de maintien de l’ordre de la Région AURA qui contribuent, par la vente de leurs matériels et composants, à alimenter des conflits ou la répression de manifestations.
Certaines entreprises sont strictement militaires (Arquus, Nexter), d’autres produisent pour le militaire et le civil (Safran, Desautel, Metravib) ou travaillent simultanément pour les armées, le maintien de l’ordre et la sécurité (Verney-Carron à Saint-Étienne : fusils, flashballs, munitions et projet Serenecity). La plupart de ces sociétés sont impliquées directement ou indirectement dans différents conflits : Yémen (canons et blindés Nexter), Niger (hélicoptères d’Ares), Égypte (fusils PGM, blindés Nexter) et Israël (fusils PGM), Kurdistan (détecteur Metravib sur blindés turcs), Mali, Libye (mercenaires de Corpguard), etc.
Prenons un seul exemple de ce dossier : l’entreprise Corpguard, société militaire privée brignairote où les différentes activités des responsables de cette société, David Homus et Pierre Martinet, sont entourées d’une réputation sulfureuse avec, par exemple, un rôle trouble en Libye ou en conseil de formation auprès de l’armée ivoirienne impliquée dans des massacres. David Homus est aussi « adjoint en charge de la prévention et de la sécurité » à la mairie de Saint-Genis-Laval. De plus, pendant la dernière campagne présidentielle, il a officiellement soutenu la candidature d’Eric Zemmour. Pour compléter le tableau déjà assez néfaste, parmi l’expertise de Corpguard figure, d’ailleurs, tout un volet sur « la gestion de crise en cas de conflit social » avec pour objectif de « protéger votre entreprise en toutes circonstances ».
Les sociétés mises en cause dans le dossier de l’Observatoire des armements ont apporté des réponses en retour, mais toutes éludent les vraies questions. Par exemple, la société Metravib Defense, au sujet des capteurs mis à la disposition de l’armée turque, indique que ce n’était qu’un projet présenté dans un salon et que l’armée turque se fournit auprès d’une société turque produisant un projet similaire. Comprenez : une société turque à laquelle Metravib a transféré sa technologie.
Aucune réponse n’est apportée par Corpguard sur ses actions en Libye après le Printemps arabe en 2007-2008, tout comme par Delta Drone sur les applications militaires de sa technologie.
Ces quincailliers du meurtre adorent les subventions publiques : en 2011, Kimelfeld, ex-président de la Métropole de Lyon, a allongé 6 millions sur les 30 millions d’euros de financements publics prévus pour attirer Safran à Feyzin. En 2015, l’usine Dassault d’Argonnay, en Haute-Savoie, a bénéficié de fonds publics locaux, et la Région AURA finance le cluster EDEN (European Defense Economic Network), association de chefs d’entreprises du secteur militaro-civil de la région.
Aucun syndicat, aucun parti « de gouvernement », aucune collectivité locale ne dénonce les industries d’armements ni nationales ni régionales. Les profits, l’attractivité économique, la « préservation » et le « développement » de l’emploi (environ 200 000 en France), le mythe de l’indépendance nationale, écrasent toute discussion, critique ou contestation.
Les informations présentées dans ce document de l’Observatoire des armements sont du domaine public et donc accessibles et vérifiables. Un prolongement du dossier, notamment sous forme cartographique, est disponible sur le site : www.obsarm.org
Maurice Balmetr