Après le traumatisme de la guerre d’Algérie, en 1959, Cabu, journaliste, dessinateur et antimilitariste s’est servi de tous les conflits meurtriers du monde pour dénoncer les armées, les fabricants et vendeurs d’armes, les profiteurs de guerre et les politiciens complices. Nous connaissons tous les caricatures de militaires grossiers et repoussants de Cabu, mais nous connaissons moins ses reportages détaillés et précis sur des tragédies comme la dictature au Chili, la guerre du Liban, les guerres de Yougoslavie, le génocide rwandais, la première guerre du Golfe, la guerre civile en Syrie, l’opération Barkhane au Mali et bien d’autres catastrophes humaines.
Au fil des nombreuses pages publiées dans Charlie Hebdo, on se rend compte, à travers les textes qui accompagnent les dessins, que Cabu fait un vrai travail de journaliste d’investigation. Ses histoires en bandes dessinées révèlent son engagement contre tout ce qui détruit les humains.
Riss écrit dans la préface du livre : « En réalité, la guerre ne nous a jamais quittés. Des guerres de décolonisation en passant par les guerres du pétrole en Irak ou contre le terrorisme au Mali, on nous a toujours donné une bonne raison de faire la guerre. Chacun classera toutes ces guerres selon ses inclinations et ses opinions politiques, mais, au bout du compte, elles finissent toujours par des carnages et des destructions inimaginables. »
Véronique Cabut ajoute sous le titre Cabu en Algérie Comment on devient antimilitariste : « Tout au long de sa vie, il ne cessera de répéter : “Les armes se retournent toujours contre ceux qui les fabriquent.” Aujourd’hui, cette déclaration prend tout son sens : ce sont des balles de Kalachnikov qui l’ont frappé le 7 janvier 2015. Cette phrase ne cessera jamais de me hanter… Il avait vu juste. »
Comment peut-on accepter un sort aussi tragique pour un artiste qui s’est engagé toute sa vie pour dénoncer l’usage des armes ? Cabu l’a montré et démontré non seulement dans ses dessins, mais aussi en participant à de nombreuses manifestations antimilitaristes. Dans son reportage sur la marche Metz-Verdun d’août 1976, il croque et salue May Picqueray, « anar de soixante-dix-huit ans, directrice du Réfractaire », Thérèse Collet et Raymond Rageau « de l’Union pacifiste », Théodore Monod et, bien sûr, l’équipe de Charlie Hebdo « au complet… Wolinski avait donné rendez-vous aux autres au café de la gare de Douaumont ».
Un an plus tard, le 8 mai 1977, Cabu entame, sous la pluie, une marche vers le PC atomique de la base aérienne de Taverny : « Une manifestation contre la bêtise nucléaire et militaire », écrit le reporter en introduction de sa page dessinée. « On était 1 500 manifestants, d’après Le Monde. On était peut-être 2 500, d’après moi, mais enfin… Avec ceux qui n’étaient pas là, on aurait pu faire un cortège de 2 millions et demi de Français (il y a 2 % d’antimilitaristes en France d’après l’Ifop). » Au milieu des manifestants qui se heurtent aux « CRS furibards » et aux hélicoptères qui les assourdissent Cabu réussit à dessiner à nouveau Thérèse Collet, Raymond Rageau de l’Union pacifiste et Mouna, accroché aux grilles d’un parc pour haranguer la foule.
Au Larzac, à Malville, à Gentioux, partout où des pacifistes s’engagent contre l’armée, Cabu est présent et raconte leur histoire avec humour et précision. L’armée cherchera à se venger en lui faisant subir jusqu’à six procès. « Et je les ai tous perdus, évidemment », dit Cabu. « Jamais dessinateur n’a été autant poursuivi par la Grande Muette », écrit son biographe Jean-Luc Porquet.
Je n’en dirai pas plus sur cet ouvrage indispensable de Cabu qui a été un ami et un soutien inconditionnel de l’Union pacifiste et de nombreux pacifistes. Ce livre complète parfaitement l’œuvre antimilitariste de Cabu et sera le plus beau cadeau de fin d’année à offrir à toutes celles et tous ceux que vous aimez.
Bernard Baissat