Militaires formateurs ou format...tueurs ? !!

Les protocoles d’accord « Armée-Éducation » organisent une symbiose contre-nature :

ils permettent notamment aux militaires de former des enseignants et de faire leur propagande dans les établissements scolaires.

À Bordeaux, le 3 décembre 2010, le mépris affiché des militaires « formateurs » envers les intellectuels provoqua une fronde légitime des nouveaux enseignants, qui se sont « tous sentis insultés tant par le choix des thèmes abordés, qui témoignent d’une ignorance totale de nos problèmes quotidiens, que par des propos inacceptables à notre égard et sur l’ensemble de la profession ».

Les militaires ont organisé des formations continues pour les enseignants dès 1981 (protocole « Hernu-Savary »).

Depuis la casse de la formation professionnelle initiale, les néo-enseignants leur sont livrés.

Voici des témoignages de professeurs stagiaires.

Une formation propagandiste inversant les priorités pédagogiques

Les témoignages écrits sont explicites : « [...] du contenu discutable et du traitement intolérable qui a été réservé, le vendredi 3 décembre, au lycée X, [...] à consacrer l’après-midi au thème de l’enseignement de la défense et à la présentation des différents types de coopération possibles entre l’armée et l’éducation nationale. [...] alors même qu’aucun d’entre nous n’a commencé sa formation disciplinaire ce qui, de l’avis de tous, est une urgence bien réelle. [...] choqué par le choix des thèmes abordés et encore plus par le choix de certaines images (propagande de l’insécurité sur fond de Twin Towers en flammes), au moment où l’on tente de convaincre les jeunes professeurs qu’il ne faut pas hésiter à orienter leurs élèves vers l’armée [...] leur montrer une image d’un jeune tenant un fusil d’assaut en joue lors de sa JAPD [1]. »

Un mépris ostensible...

Le matin avait été occupé par des interventions sans grand intérêt par rapport aux souhaits des jeunes professeurs. L’après-midi, les stagiaires ont finalement réagi à des « propos inacceptables sur l’ensemble de la profession ». Des expressions « affirmant la supériorité du corps militaire face aux réflexions stériles menées par des intellectuels en salle des profs ! Il me semble que la tournure exacte était : les discussions entre militaires, ça n’a rien à voir avec les discussions entre intellectuels qu’on entend en salle des profs. [...] Nous, il nous faut des discussions rapides car ça débouche sur de l’action. »

Reformulation par un commandant de réserve : « En salle des profs, on entend des conversations d’intellectuels qui ne servent à rien, alors que, nous, dans l’armée on est dans l’action pour la Nation... un autre gradé de l’armée prend la suite en affirmant de manière décomplexée qu’il n’y a pas de déontologie dans l’Éducation nationale ! »

... à la sauce idéologique

« Grâce à dieu, grâce à dieu, grâce à dieu, nous connaissons la paix en Europe depuis plus de soixante ans. »

« La paix a été préservée grâce à la bombe nucléaire. » En toute laïcité !

La mesure était comble

Les stagiaires ulcérés ont finalement réagi : « Face à l’inutilité relative du contenu et à l’hostilité palpable qui nous a été témoignée, nombre d’entre nous n’ont pas assisté à l’intégralité de la présentation l’après-midi... Nos collègues des Landes ont eux aussi témoigné leur mécontentement envers le choix thématique de la formation en quittant massivement les lieux. [...] nous ne sommes pas une bande d’élèves dissipés, mais bien des professeurs. Le temps de la remise en question est peut-être venu ! »

« Évidemment beaucoup de nos collègues, furieux que l’on se moque de leurs préoccupations quotidiennes (apprendre à construire des séquences de cours ou évaluer les élèves par exemple) ont déjà commencé à quitter massivement les lieux. »

Plusieurs ont écrit pour « témoigner directement de ce que vivent les professeurs stagiaires lors de leurs formations organisées par le corps d’inspection. »

La symbiose Armée-École en marche

« Il faut arriver à l’armée préparés, et préparés par l’école, le lycée et l’université. Il faut une symbiose avec l’Éducation nationale. » (Charles Hernu, ministre de la Défense, Le Monde, 11 juillet 1982). C’est pour cette raison qu’un protocole d’accord a été conclu entre les ministres Hernu et Savary. Parmi les nombreux objectifs : « permettant aux élèves, dans le cadre des activités éducatives, d’obtenir une formation directe dans les unités... améliorer l’information des jeunes gens et des jeunes filles sur les nécessités de la défense. » (extraits des textes officiels). Il s’agit aussi d’organiser des formations aux enseignants par des militaires (dont les profs d’histoire-géographie).

Mais aussi « afin que l’on cesse de voir, dans certains manuels militaires, des passages scandaleusement antimilitaristes » (Charles Hernu, Le Monde, mai 1982). Hernu était en convergence avec la députée de Hauteclocque (présidente de l’association pour l’enseignement catholique), qui avait obtenu l’interdiction d’un livre d’économie de seconde dont une page comparaît des coûts d’équipements civils et militaires : enseignement « libre » ?

Le protocole Hernu-Savary sera aggravé par un second (Chevènement-Jospin) et un troisième (par la Droite) - mais aussi par un protocole d’accord Défense-Culture (Hernu-Lang, 24 mai 1983 à Orange, Vaucluse).

De même, les ordonnances de janvier 1959 (les citoyens-soldats), actualisées par le gouvernement de gauche en 1984, permettent à un Conseil des ministres une « mise en garde » du pays : chaque salarié est alors réquisitionné sur son lieu de travail et considéré comme déserteur s’il se met en grève ou désobéit à une instruction [2].

La casse de la formation professionnelle

Ce n’est pas un hasard si ces enseignants-stagiaires en colère souhaitent « témoigner directement de ce que vivent les professeurs-stagiaires lors de leurs formations organisées par le corps d’inspection ».

Tous ne protestent pas de même contre les conséquences de ce massacre de la formation professionnelle des futurs enseignants, au mépris aussi des familles et des jeunes.

Est-il acceptable que des enseignants débutants soient dès la première année à temps plein d’enseignement ? Avec une formation professionnelle réduite, et dont les résidus sont soumis aux impératifs de la hiérarchie, d’autorités militaires. Pour aider à former des esprits libres, non formatés, les personnels d’éducation doivent être libres !

Le resserrement idéologique est en cours. L’armée formatrice « pédagogique » (!) appuie sur les réflexes de peur - et surtout pas de réflexion ! - pour revenir aux valeurs « éternelles » (!) de soumission.

Henri Amadei