Le temps semble n’avoir aucune prise sur cet homme si cultivé, émancipateur et antimilitariste.
Né le 23 octobre 1899 à Utrecht (Hollande) et « désertant » le 1er janvier 2000, il incarne un siècle de luttes anarchistes.
Merci aux Éditions du Monde libertaire pour la parution de cette nouvelle brochure*.
Lehning étudie les sciences économiques à Rotterdam, puis à Berlin. Dès 1920, il y rencontre Rudolf Rocker (un des plus importants anarchistes allemands), des anarchistes russes qui viennent d’être libérés des geôles léninistes, Alexandre Berkman et Emma Goldman…
En 1922, il est le correspondant, à Berlin, du Bureau international antimilitariste (Biam), fondé l’année précédente à La Haye. Il devient l’ami de Georg Friedrich Nicolaï (1874-1964), pacifiste rescapé de la Première Guerre mondiale, professeur de médecine et responsable de l’hôpital « Charité » à Berlin. Il ne doit pas être confondu avec Ernst Friedrich (1894-1967), le pacifiste intégral, fondateur, en 1925, de l’Anti-Kriegs-Museum (Musée antiguerre de Berlin, détruit par les nazis et rouvert, en 1982, par son petit-fils**).
En 1923, Lehning écrit Les Racines du fascisme allemand, article prémonitoire, puisque Mussolini vient d’accéder au pouvoir. Il prône déjà la désertion, la grève générale et la résistance non violente (boycott, objection fiscale, refus de collaboration, etc.), afin de supprimer l’État, le capitalisme, le militarisme et les causes de guerre.
En 1924, à Paris, il découvre la peinture moderne (expressionnistes, cubistes, futuristes, constructivistes). Il se passionne pour la littérature et l’art abstrait, tout en rencontrant Jean Grave et les libertaires parisiens. Il lance, en 1927, la revue i 10 au titre minimaliste, adaptable en toutes langues. Il y regroupe, jusqu’en 1929, des artistes, dadaïstes, philosophes, architectes et anarchistes, dont la plupart deviendront célèbres par la suite (Mondrian, Kandinsky, Arp, Moholy-Nagy, Walter Benjamin, Jacobus Johannes Pieter Oud [De Stijl], Gérard Holt et Gerrit Thomas Rietveld [Bauhaus], etc.).
De 1927 à 1934, il rédige, avec Augustin Souchy et Helmut Rüdiger, le service de presse de la Commission internationale antimilitariste (issue de la fusion entre l’AIT et le Biam). Dans les organes anarcho-syndicalistes, il souligne que la destruction de l’État reste la condition préalable à la construction d’une société émancipée : les travailleurs doivent préparer eux-mêmes la prise en main de leur vie économique.
Entre 1932 et 1935, Lehning est au secrétariat de l’AIT avec Alexandre Schapiro, Rocker et Souchy. Il se retrouve en Espagne dès avant le putsch franquiste (Madrid et Barcelone).
Le 17 février 1933, il prononce son dernier discours public en Allemagne (« Le socialisme sans État ») et se réfugie en Hollande, où il dirigera, dès 1935, l’Institut d’histoire sociale d’Amsterdam (qui conserve les archives du mouvement libertaire).
En mars 1939, anticipant l’éclatement de la Deuxième Guerre mondiale, il réussit à transférer une partie des archives à Oxford (Royaume-Uni). En 1941, il travaille à la section néerlandaise de la BBC (département de recherches documentaires). En 1945, il rouvre l’Institut à Amsterdam, dont la plus grande bibliothèque anarchiste du monde (plus de 300 000 livres) avait été dévalisée par l’état-major nazi de Rosenberg. Il obtient les restitutions, de 1946 à 1947.
De 1954 à 1957, il enseigne à l’université de Djakarta (Indonésie indépendante) et y crée une bibliothèque de 15 000 ouvrages. À partir de 1960, il se consacre à la réédition des œuvres de Bakounine, tout en continuant à appeler à la désobéissance civile et au fédéralisme libertaire.
Il se retire à Lys-Saint-Georges (Indre), tout en participant à des colloques internationaux et en écrivant (plus de 600 titres en néerlandais ou en allemand). En 1997, une journaliste a pu réaliser une interview sonore restée inédite, jusqu’à ce qu’elle parvienne au groupe creusois de la Fédération anarchiste Arthur Lehning, qui nous l’offre avec cette brochure bienvenue.
René Burget