Industries de la défense dans le monde

Ce panorama des industries de la défense dans le monde* est bien documenté – une bibliographie importante et pour partie en français – et permet aux personnes sans compétences particulières, mais curieuses, de pouvoir bénéficier d’un éclairage universitaire sur différents aspects concernant ce secteur industriel méconnu et pour tout dire très secret, en particulier en France.

Dès les premières pages, le décor est planté, avec un vaste tour d’horizon historique et éco­no­mique sur les industries d’ar­mements et leurs mutations.
Chiffres à l’appui (l’ouvrage n’en manque pas !), tout est dit sur le poids éco­nomique de la production mi­litaire pour situer tel ou tel pays – ou blocs géopolitiques – dans le concert des nations, sa place dans l’ordre international et pour tenter de comprendre sa politique internationale.
En politique interne, l’auteure ne manque pas de souligner l’influence du bud­get militaire – notamment des dépenses d’équipement qui intéressent directement l’indus­trie de défense – comme ins­trument d’une politique industrielle nationale.
Quelques statistiques gla­nées ici ou là au détour d’une dizaine de tableaux de synthèse et d’encarts spécifi­ques :
. Les dépenses militaires atteignent des sommets avec 1 700 milliards de dollars en 2016, soit 2,2 % du PIB mondial.
. Le marché mondial de l’armement (vente de biens et services de défense) est actuellement évalué à environ 400 milliards de dollars an­nuels, dont 50 à 70 milliards sous forme d’exportations.
. Les États-Unis représentent aujourd’hui à eux seuls plus du tiers du total de ces dépenses de défense.
. Au sein de l’Otan, en 2016, la part des dépenses d’équi­pement dans le budget de la défense est de 25,03 % pour les États-Unis, de 24,51 % pour la France, de 23,41 % pour le Royaume-Uni et 20,24 % pour l’Italie. L’Alle­magne n’atteint que 13,67 %.
Ceci étant, l’auteure relè­ve plusieurs fois les difficultés à véritablement pouvoir déterminer les montants des dé­pen­ses militaires du fait des évolutions technologiques qui brouil­lent la frontière entre productions civiles et militaires : « Nom­bre de technologies et de pièces et composants ont un usage dual – à la fois civil et militaire. »
Pour preuve, dans le « TOP 100 » des principales firmes de défense classées en fonction de leurs chiffres d’affaires résultant de la vente de biens et services de défense, certaines sont citées sans pour autant que la défense ne re­présente une part importante de leur activité. Ce constat témoigne de la mutation profonde de la production de défense, la­quelle est de plus en plus in­vestie par des groupes non directement spécialisés dans ce secteur.
Une source fiable, le Sipri, un organisme international indépendant, publie chaque année des données sur les dépenses militaires et l’industrie d’armement dans le mon­de, ce qui permet d’évaluer en volume ces gaspillages.
- Tout d’abord, la place déterminante, voire dominante, et spécifique de l’industrie de l’armement des États-Unis. Ainsi, Fanny Cou­lomb, n’hésite pas à affirmer que « souvent les contrats d’ar­mement aux États-Unis révèlent le détournement des dé­cisions du secteur public par des intérêts militaires privés, qui se servent du financement des campagnes électorales et du lobbying pour parvenir à leurs fins ».
Un indice de cette spécificité : l’externalisation (déve­loppement de la sous-traitance) de la production de défense qui a débuté dans l’industrie d’armement américaine au cours des années 1990 et une dizaine d’années plus tard en Europe.
Cette privatisation de la défense est très diversifiée : services de logistiques, de renseignement, de protection de personnalités ou sites, de sécu­risation de convois, voire de participation à des missions armées ou à des interrogatoires et à des formations de militaires au côté de soldats.
La plupart des conflits récents illustrent plus ou moins parfaitement cette externalisation croissante.
- Ensuite, la place des industries de défense dans l’Union européenne et leur nécessaire coopération face à la concurrence américaine.
L’auteure fait état de quel­ques avancées avec la cons­titution de groupes européens de défense comme Nexter/
KMW, un des principaux ac­teurs sur le marché mondial de l’armement terrestre, ou encore le groupe européen DCNS (devenu Naval Group) sur le marché naval militaire.
À noter, également, une lar­ge restructuration, depuis la fin des années 1990, dans les sec­teurs de l’aérospatiale et de l’électronique de défense par un triple processus de privatisation (comme aux États-Unis), de transnationalisation et de diversification (vers des mar­chés civils).
Sur le plan institutionnel, il est mis en place dans l’année 1996 un organisme de coopé­ration en matière d’armement, l’OCCAR, puis, en 2003, la création de l’Agence euro­péenne de défense, AED, qui vise à renforcer la coopération européenne en matière d’armement.
Cette coopération industrielle dans l’Union euro­pé­en­ne navigue cependant de­puis les années 1960 entre succès et échecs, dont plu­sieurs exemples sont détaillés, en particulier les avions et hélicoptères militaires (succès !) et le projet de char franco-allemand (échec !).
Pourtant si, en matière d’in­dustrie de défense, « la préfé­rence nationale » s’exerce encore assez largement, l’européanisation de la défense progresse, notamment, grâce aux stratégies industrielles privées compte tenu, en particulier, des restrictions budgétaires en matière de défense.
- Concernant les deux pistes de réflexion/questionnement (parmi d’autres car l’ouvrage est dense…) :
D’une part, l’auteure sou­ligne que l’étude de la production d’armements a été relativement négligée par les économistes et ce depuis l’ori­gine de la discipline : de la conception marxiste du militarisme comme inhérent au capitalisme jusqu’aux analyses keynésiennes selon les­quelles les dépenses militaires sont les plus improductives des dépen­ses publiques, sans oublier différentes autres théories ou concepts, comme celui de « complexe militaro-industriel » développé dans les années 1960 et 1970, en particulier par l’économiste J.K Galbraith.
Fanny Coulomb indique également que les polémi­ques sur les retombées écono­miques de la Recherche & Développement militaire et, plus globalement, des dépen­ses militaires sont aujourd’hui plus que jamais d’actualité.

Quelle utilité sociale des dépenses militaires  ?

D’autre part, l’auteure évo­­que – un peu brièvement se­lon nous – la participation à des opérations extérieures (Opex) qui sert aussi de vitrine pour les armements natio­naux, tous comme les risques importants de corruption liés aux contrats d’armement, notamment dans la pratique des compensations (qui sont de plus en plus présentes dans les contrats d’exportation d’armements) ou de versements de commissions, voire de rétro-commissions pour rémunérer des intermédiaires. Elle illustre ces risques en quelques lignes avec l’affaire française dites des frégates de Taïwan et celle de Karachi. Des exemples concernant d’autres pays pourraient être aussi cités.

Place des ventes d’armes dans l’élaboration d’une politique de défense et rôle du citoyen ?

Deux regrets après avoir parcouru ce livre clair et précis. Premièrement, si certaines ONG sont référencées (Sipri/ Small Arms Survey/Oxfam), les ONG et les universités/laboratoires francophones qui s’inté­ressent à cette thématique et produisent nombre d’étu­des documentées qui de­vraient nourrir la réflexion des politiques et de tous citoyens sont oubliées.
Deuxièmement, un armement particulier n’est jamais évoqué dans ce tour du monde des industries de dé­fense : l’armement nu­cléaire. Pourquoi ?
François Ménétrier

François Ménétrier

* Industries de la défense dans le monde, Fanny Coulomb, Presse universitaire de Grenoble septembre 2017, 17€, 120 p.